Rien n’est banal
Malick WELLI aime les défis. Pas ces défis fanfarons que l’on relève sabre au clair dans le brouhaha des trompettes et des acclamations, mais de ces défis intimes et discrets, qui n’ont l’air de rien, mais qui tiennent de la prouesse absolue dans leur banalité.
Banalité, le mot est lâché car, qu’y a-t-il de plus banal que de demander à un artiste d’immortaliser « sur la pellicule », comme on disait autrefois, la vie dans sa plus triviale quotidienneté.
Au terme très incertain, de mois d’un confinement qui ne disait pas son nom, photographier des individus dans l’ordinaire de leur existence domestique relevait d’une gageure certaine car comment, tout en respectant ces consignes, éviter de tomber dans le kitch, dans le mièvre ou dans l’insipide ?
Le risque du « cliché » était évident et la ligne de crête était très étroite entre le théâtral qui n’aurait été que construction spectaculaire et l’ordinaire qui n’aurait atteint ni nos sens, ni nos âmes.
Pourtant, Malick WELLI, au long de son œuvre, s’est toujours placé exactement là, entre le trop et le pas assez, dans une performance d’équilibriste qui lui a valu très vite la faveur du public et l’estime des spécialistes.
Ses œuvres, d’une façon générale, et celles-ci, en particulier, donnent toujours l’impression d’une prise « sur le vif » d’une forme de spontanéité qui apporte une grande fraîcheur à ses photographies.
Mais à y regarder de plus près, elles ont toujours été longuement préparées et l’apparence de la simplicité n’est qu’une illusion, jeu de miroirs sans fin dans lequel nous entraîne l’artiste avec brio.
Car, à la vérité, rien n’est laissé au hasard et rien n’est à sa véritable place, l’illusionniste tente de nous le faire croire et y parvient avec beaucoup d’habileté.
Examinons de plus près ces photos qui mettent en scène amis et comparses dont aucun professionnel, dans des espaces qui ne sont que le quotidien de plusieurs logements dans la ville de Dakar.
Ces décors, quels sont-ils ? pour se conformer aux instructions des commanditaires : un salon, une cuisine, une salle de bain et une chambre à coucher. Tout parait indifférent à première vue.
Sauf que dans le salon blanc immaculé, le personnage principal, tout au centre, joue les contrastes dans une tenue sombre. Cette couleur noire est en rappel avec ce chat noir insolite, réminiscence de Balthus, et l’artiste nous donne la clé de l’image avec le titre du livre que tient la lectrice « The black book » ! Ce n’est pas « l’œuvre au noir » des alchimistes, mais cela pourrait y ressembler dans cette alchimie intemporelle et contemporaine.
Mêmes contrastes dans cette cuisine aux murs de cathédrale, ornés d’œuvres d’art comme on ne s’attend pas à en trouver en pareil lieu, avec une vaisselle tout en contraste, des chandelier allumés, comme descendus de l’œuvre de Vermeer que l’on y reconnait et ces deux cuisiniers improbables, que leurs tailles distinguent l’un de l’autre et revêtus de vêtements de créateurs que l’on n’imagine guère en pareil lieu.
La salle de bain, dans un décor assez kitch, dans des couleurs de rose passé et de pistache, révèle un couple dont seule la tête dépasse de la grande baignoire. La force de suggestion est prodigieuse, la sensualité en éveil, une invitation à toutes sortes de fantasmes, un érotisme qui éclate si fort dans un décor qui n’est pas fait pour lui, ce qui ne lui en donne que plus de douce violence.
Et puis se trouve la chambre, que l’on voudrait domaine de la douceur, de la tendresse et du calme. La couleur y est violente sans agresser, sa tonicité est en phase avec la pose du personnage central qui s’y contorsionne dans on ne sait quelle posture d’un yoga improbable sans lâcher sa tasse qui, d’un blanc immaculé, fait, en quelque sorte le contrepoint du chat noir du salon.
Y a-t-il rien d’aussi peu banal que cet univers que Malick WELLI nous propose de découvrir comme pour nous inviter à aller au-delà de l’apparence des choses.
Il y réussit si bien !
Sylvain Sankalé
Dakar 14 novembre 2020
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